Enseignement

Les Enseignants Entre Plaisir Et Souffrance

« En fait, il semble qu’on ait appris aux enseignants ou qu’ils aient cru comprendre qu’ils devaient répondre professionnellement aux questions qui se posent dans l’exercice de leur métier. C’est ce que j’appelle les malentendus de la formation : à savoir que répondre professionnellement signifie pour eux éradiquer toute une partie de soi et notamment les émotions et les mouvements psychiques internes que les situations professionnelles provoquent ; cela les a conduits le plus souvent à un clivage important entre la part professionnelle et la part personnelle de leur soi-enseignant. Ils pensent que c’est une façon de s’en tirer, et sans doute, un certain clivage « fonctionnel » est nécessaire. Mais toute mon expérience d’animation me porte à penser qu’il s’agit là d’une manière non pertinente de poser la question de la pratique professionnelle enseignante et de la souffrance inhérente à cette pratique. C’est en partie ce déni de la souffrance et ce tabou de la parole sur la souffrance professionnelle qui les entraînent dans une plainte insistante et répétitive.
Je constate que, du coup, les enseignants ont à passer par un réapprentissage de l’écoute d’eux-mêmes, du fait que l’on ne peut pas laisser à la porte de la classe tout ce qu’on est, tout ce qu’on ressent, et que par contre, accepter de ressentir ce qu’on ressent, ne veut pas dire se laisser tranquillement aller à ses penchants naturels ; il s’agit au contraire d’essayer d’élaborer ce ressenti pour dégager l’espace professionnel de ses propres enjeux narcissiques et libidinaux, autant que faire se peut, au profit des élèves.
En résumé, cette souffrance professionnelle, au lieu d’être évitée, refoulée, ou déniée, doit être aménagée jour après jour ». 

Blanchard-Laville, C. (2001). Les enseignants entre plaisir et souffrance. Paris : Presses universitaires de France, pp 103-104.